Publié le lundi 13
février 2012 à 15H02 France 2. La chaîne publique retrace dans un téléfilm en
deux parties le combat de Toussaint Louverture.
France 2 retrace dans un téléfilm en deux
parties (14 et 15 février) le combat de Toussaint Louverture
« Réécriture de
l’Histoire, manipulation mémorielle, propagande idéologique, excitation
communautariste… » Philippe Pichot, historien, chef de projet développement du
château de Joux dans le Jura (lieu d’incarcération de Toussaint Louverture), et
membre du CPMHE*, n’a pas aimé les libertés que le réalisateur Philippe Niang a
prises avec la réalité historique dans son téléfilm, Toussaint Louverture. «
Mettre en scène un tel personnage qui, dans l’histoire universelle, surgit
comme le déclencheur de la première abolition de l’esclavage, l’initiateur de
la première indépendance d’une colonie indigène (Haïti) et la première figure
du pouvoir noir, méritait un minimum de sérieux. » La productrice du film,
France Zobda, assure du contraire : « Nous nous sommes adressés à trois
historiens, un Haïtien, un Américain et un Français, afin de comparer, recouper
et corroborer le fruit des différents travaux de recherche car, nous voulions
que notre film soit le plus proche de la réalité. »
Alain Foix, coscénariste et auteur de la
biographie Toussaint Louverture chez Folio-biographies, se souvient de la
bagarre menée avec la chaîne et les autres scénaristes pour que la réalité soit
respectée. « Oui, admet-il, Philippe Pichot a raison sur tout. Mais il vaut
mieux un mauvais téléfilm sur Toussaint Louverture que pas de téléfilm du tout.
»
Philippe Niang justifie
son parti pris par la nécessité d’édifier des héros historiques : « Toussaint
Louverture fait partie de ces icônes, quitte à tordre le cou à la vérité
historique, au nom de la vraisemblance idéologique… C’est pourquoi j’ai mis en
scène des épisodes qui pour n’être pas tangibles n’en sont pas moins crédibles
comme l’assassinat par noyade du père de Toussaint. » En fait, le père de
Toussaint Louverture est mort presque centenaire vers 1804… Le film montre
encore Toussaint et sa famille enchaînés, marchant en plein hiver dans la
neige, frappés par des soldats alors qu’ils vont au Fort de Joux. « La
séparation de la famille a eu lieu en juin à Saint-Domingue », s’étouffe presque
Philippe Pichot. A un autre moment du film, le médecin qui vient visiter
Toussaint dans sa geôle est présenté comme un simple maréchal ferrant. « Seuls
l’officier de santé de l’armée ou le médecin local était autorisé à voir
Toussaint dans sa cellule ! », poursuit l’historien qui tient une liste de
contre-vérités dans le film longue comme le bras ! « J’aurais à déplorer, note
Alain Foix, l’absence de personnages comme l’abbé Grégoire, du club des « Amis
des noirs », qui auraient complètement raccordé cette fiction à la grande
histoire de France plutôt que d’en faire une histoire d’Haïti contre la France
et parfois même, des blancs contre les noirs. Je me suis longtemps battu pour
qu’on ne fasse pas dire à Toussaint s’adressant à Napoléon ce qu’il n’a jamais
dit : « Du premier des noirs au premier des blancs ». C’est une citation
malheureuse de Lamartine. Toussaint n’a jamais opposé les noirs aux blancs.
C’est hélas ce qui restera. »
Faire un film sur un
homme décrit comme un précurseur par Aimé Césaire, un modèle des luttes pour
les indépendances et contre l’apartheid ou pour les droits civiques était une
nécessité parce que l’image de Toussaint Louverture et son histoire sont
totalement absentes dans notre mémoire collective. « Mais, regrette Alain Foix,
la puissance de la télévision imprime les imaginaires et ce qui reste d’une
histoire fausse devient le vrai. En cela, je partage l’inquiétude de Philippe
Pichot ». Et cela même s’il trouve le film « utile et plaisant ».
*Comité pour la mémoire
et l’histoire de l’esclavage
Thierry Sorel (responsable fiction à France
Télévisions) : « Une non polémique »
« Il s’agit d’un film
utile sur un héros positif noir », commente Thierry Sorel, responsable de la
fiction à France 2. Le film vient de la volonté des producteurs (France Zobda
et Jean-Loup Monthieux) qui ont voulu raconter un grand héros noir qui
appartient à l’histoire de France. « Ca faisait longtemps qu’un tel projet
était à l’étude, même Dany Glover s’y est cassé les dents. Là, c’est apparu
comme une évidence même si ça n’a pas été sans peur… » Peur de ne pas être à la
hauteur comme le reprochent les historiens ? « On doit fictionner.
La réalité est dans les
livres d’histoire. Ce film a un parti pris de fiction comme c’est vrai dans
tous les films historiques. L’attaque des historiens sur la crédibilité du film
est une non polémique car ce film n’est pas un documentaire. Il sert
l’imaginaire collectif français dans lequel tout un tas de personnages comme
Toussaint Louverture manquent. »
http://www.paris-normandie.fr/article/tvpeople/toussaint-louverture-un-telefilm-attendu-et-conteste